
C’est l’histoire d’un père, de sa fille et de cet hôtel.
C’est l’histoire d’un père, de sa fille et de cet hôtel.
-"Papa ? Il roule à combien là ?"
-"Ne t’inquiète pas, il connaît la route."
Je me suis toujours demandée comment mon père pouvait être si serein. C’est peut-être seulement son rôle de père que de cacher ses inquiétudes. Ou alors, il est de nature confiante.
La route était belle. Peu sinueuse, suffisamment large pour que je puisse profiter du paysage sans me soucier de notre sécurité.
Les montagnes se dressaient tout autour de nous. Pas de neige à l’horizon. Pourtant cette sensation de déjà-vu m’envahit sur le trajet. La même sensation que lorsque nous nous rendions dans les Pyrénées durant l’hiver.
Vous savez cette odeur d’air frais, d’air pur. Cette sensation de liberté étouffante. Ce contraste entre le panorama qui s’ouvre à la vue et la taille gargantuesque de ces géants faits de roches, contre qui, on ne peut rien. C’était bon de retrouver cette brise fraiche.
L’atmosphère était agréable. La radio laissait s’échapper un fond de musique traditionnelle péruvienne. Le conducteur répondait à nos questions avec plaisir, sans nous relancer sur les raisons de notre venue.
Tout allait bien. Il roulait vite à mon goût. Mais ça allait. Ça allait, parce que j’étais avec lui. Comme si au côté d’un papa, rien ne pouvait arriver. C’était une bulle hors du temps où je n’avais pas conscience des enjeux qui rythmaient le pays à ce moment-là.
Le monde, « La semaine qui a plongé le Pérou dans le chaos politique » ; « Au Pérou, au moins 7 morts dans les manifestations contre le nouveau pouvoir »
Le Figaro, « Pérou : l’ex président reste en prison, les manifestations continuent » ; « les 180 minutes qui ont fait trembler le Pérou »
…
Est-ce égoïste de se dire ironiquement que l’on a bien choisi notre moment pour venir au Pérou ? Probablement quand on connait la situation politique catastrophique.
Cette même situation, qui, en l’espace d’une semaine avait mis sur pause l’activité d’un pays tout entier. Si la vie là bas s’est arrêtée, pas question de laisser le silence planer dans les rues. Les manifestations et barrages routiers maintiennent une certaine animation dans les villages les plus reculés.
Alors, dans notre bulle, nous comprenons peu à peu que quelque chose cloche. Dans cet hôtel, personne ne nous dit rien. Nous sommes coupés du monde. Les seuls clients de l’hôtel, sont ce père, sa fille, et un groupe d’Indiens septuagénaires venus des États-Unis visiter le Machu Picchu.
Coincés dans cette prison dorée, nous errons dans cet hôtel où nos pas résonnent. Le personnel est réduit à 50% je suppose.
Nous nous trouvons dans une ambiance semblable à un mélange entre crise sanitaire et gilet jaune.
C’est curieux, mais peu désagréable. Un confinement de luxe je dirais.
Si au début j’étais déçue d’être bloquée je me suis rendue à l’évidence que l’on n’y pouvait rien. Alors autant profiter de ces vacances forcées pour se reposer.
Le plus difficile était de le voir lui, déçu. Déçu d’avoir fait tant de kilomètre pour ne pas pouvoir admirer l’une des 7 merveilles du monde.
Nous apprenons les nouvelles au compte goutte. 7 morts, l’aéroport de Cusco ferme, de violentes manifestations à Arequipa, fermeture de la place des armes à Lima…
Aéroport de Cusco fermé. On ne peut donc plus rentrer à Lima.
L’objectif à présent est de quitter cette vallée sacrée. On s’est fait une raison; on ne verra pas le Machu Picchu.
A 20h une voiture vient nous chercher. S’en suivent quelques heures de route. Une route ? Que dis-je, un chemin semé d’embuches plutôt. Notre chauffeur de ce soir-là, j’aurais surement dû l’applaudir.
Peut-être la course la moins ennuyeuse de sa carrière. Son objectif a été de slalomer entre les pierres, les barrages encore fumant de la journée et les arbres déracinés.
Arrivés à Cusco on apprend très vite que l’aéroport à réouvert. Tout ce que l’on souhaite à présent c’est rejoindre le Chili le plus vite possible. Pour cela il faudrait déjà que l’on puisse voler jusqu’à Lima.
A Cusco, l’aéroport est gardé par l’armée, nul ne peut y accéder sans billet. Les nôtres ont été reportés cinq jours plus tard.
Pas question de rester cinq jours supplémentaires et de risquer la fermeture de l’aéroport de Lima.
A ce moment-là, les rôles s’inversent.
Ce père, si aimant et prévenant est dépassé. Impossible de joindre les compagnies aériennes, les vols sont annulés, reportés, avancés, rétablis. C’est un chaos national. Un chaos dans lequel il est difficile de se faire entendre, alors qu’un tiers du pays souhaite s’envoler au même titre que nous.
Alors je décide d’agir comme si j’avais été seule. En 5 minutes nos valises sont prêtes. Dans les 10 minutes qui suivent nous sommes sur le chemin de l’aéroport, comme la moitié de la population de Cusco. C’est le début de soirée, il fait nuit et les embouteillages font rage. On apprend qu’un couvre-feu vient être appliqué à toute la ville.
Visiblement, il est royalement ignoré. Mon père, je ne sais pas ce qu’il pense. A ce moment-là je ne sais pas s’il a espoir, s’il pense que c’est peine perdue. Il se laisse porter mais semble me suivre.
Alors qu’il décharge les valises dans le brouhaha du trafic, les klaxons incessants, la nuit noire et les feux de voitures, je vois que les entrées dans l’aéroport sont filtrées. On ne pourra y pénétrer si et seulement si on montre un billet d’avion.
Tout se fait très rapidement. Je souffle discrètement à mon père de me donner son téléphone, et de me faire confiance. Il s’exécute sans broncher. J’aime qu’il me fasse confiance, j’aime qu’il ait compris que j’avais un plan.
En deux secondes je mets son téléphone en mode avion. Comme si j’avais suivi une classe au cour Florent, je mets en application mes talents d’actrice. La jeune fille étrangère complètement perdue, très pressée avec en bonus les yeux mouillés. Je baragouine dans un espagnol approximatif «Nous avons un vol dans 1h30, nous sommes très en retard à cause du trafic, je n’ai pas de réseau les billets ne chargent pas sur l’application je dois me connecter à la wifi de l’aéroport, je n’ai vraiment pas le temps, s’il vous plait on doit y aller ».
Croyez le ou non,s c’est passé.
Dans l’aéroport l’ambiance est pesante. Il y a du monde mais c’est vide à la fois.
Et là, le miracle arrive enfin. En arrivant à l’aéroport on nous fait comprendre que l’ensemble des vols pour Lima sont complets pour trois jours.
Après avoir mis une nouvelle fois nos talents d’acteurs en avant, un agent s’approche de nous 30 minutes plus tard avec deux billets. Il prend nos valises et nous dit que notre avion part dans 1 heure.
A notre grande surprise, l’avion décolle. Mission réussie. Nous quittons Cusco. Mon père est à l’avant. Je suis à l’arrière de l’appareil.
Je le retrouve après l’atterrissage.
En le voyant je ne peux m’empêcher de lui faire remarquer que l’avion a décollé à moitié vide.
Mon père est rassuré. Demain matin nous quittons le Pérou et continuons nos aventures.